jeudi 10 mars 2011

De la concurrence loyale et de la concurrence déloyale

J'évoquais dans un billet posté la semaine dernière que parfois, dans la bataille pour signer avec un client, on partait avec plus ou moins d'armes face à la concurrence.



Je reprends.

Je suis un agent de voyages français. Et à ce titre,

- je suis immatriculé (et je vous promets que quand j'ai commencé, en 2003, obtenir sa licence était la récompense d'un travail de titan !)

- je paye une caution (283 000 € environ. Comme le montant de la caution est proportionnel au CA de l'agence, c'est la preuve que ça marche plutôt bien, merci beaucoup),

- je cotise chaque année à une Assurance Responsabilité Civile professionnelle,

- j'assure tous mes clients : au moindre problème sur place, Europ Assistance envoie Philippe de Dieuleveu, Bernard Kouchner ou un médecin et rapatrie.

- j'assume toutes les imperfections, tous les aléas qui font qu'un voyage ne va pas se dérouler à la perfection. Même quand je ne suis logiquement pas responsable de la météo, d'un transfert raté, d'un overbooking, je suis juridiquement responsable de tout !



Il y a 10 ans, le métier était plus simple : les compagnies aériennes transportaient les clients, les hôteliers les hébergeaient, les réceptifs nous conseillaient sur les programmes et assistaient nos clients sur place. C'était le bon temps (mon brave Monsieur).



Désormais, on marche sur la tête :

Amadeus (qui est un système informatisé de réservation) vend des stages de management.

QANTAS vend un vol intérieur en Australie 637,08 € en GDS quand elle le propose à 211,78 € sur son site web. Certes, QANTAS a signé un accord de full content avec Amadeus (je traduis : on nous certifie que tous les tarifs de Qantas sont accessibles via Amadeus). Mais bon, comme Amadeus est très occupé à vendre des stages de management, Amadeus ne vérifie pas ses contrats avec les compagnies...



Je continue l'inventaire ?

Les hôtels ont un tarif affiché. Disons 100 pour faire simple. Je visite l'hôtel. Il me plait. Il correspond aux demandes de mes clients. Je veux le programmer. Je m'engage sur un volume. L'hôtel me donne 15 ou 20% de commission. Donc, il me le vend à 85 ou 80. (vous suivez ? non ? Alors remontez 3 lignes en arrière et relisez, ça va mieux ? on continue...).

Je vends l'hôtel. Je gagne mes 15 ou 20%. Mon client est satisfait de son séjour. Comme je vends bien l'hôtel, l'hôtelier n'a pas perdu son temps en signant un contrat avec moi.



Jusque là, tout va bien. C'est maintenant que ça se gâte.

On arrive en basse saison, en période de crise économique, bref : un élément extérieur fait que l'hôtel ne remplit plus. Que fait l'hôtelier ?

réponse A : il me contacte pour savoir comment je pourrais envoyer plus de monde. On analyse les possibilités. On lance une opération spéciale ensemble.

réponse B : l'hôtel envoie une promo à tout son fichier clients : les TO auront pour les 3 prochains mois une commission de 30% au lieu des 15 ou 20%.

réponse C : l'hôtel ne veut pas prendre le risque de voir se dégrader sa recette unitaire. Ne veut pas le vendre à 70% à ses TO partenaires. Se dit qu'il va plutôt le vendre aux clients directs à 90%. C'est toujours ça de gagné. Sauf qu'au bout du compte, je vais le savoir...



On reprend ce cas d'école !


réponse A : l'hôtel me contacte pour que je lui envoie davantage de clients ? Je lui demande un bonus : la pension complète offerte, la 4ème nuit gratuite pour 3 payantes, une excursion offerte, un dîner aux chandelles sur la plage, un soin offert... je peux être très créatif ! Je présente l'offre comme un vrai avantage pour le client. Le petit cadeau ne coûte pas bien cher à l'hôtelier et le client (qui a l'impression plus ou moins justifiée de faire une bonne affaire) est ravi. Moi (qui suis payé à la comm'), je reçois la même chose. Tout le monde s'en sort.


réponse B : c'est certain, je vais essayer de gagner 30 au lieu de 20 en poussant cet hôtel. Mais quand c'est la basse saison, la crise, la merde, quoi , tous les hôtels vont faire des promo'. Je préfèrerai pousser l'hôtel A. Mon client aura un plus produit et je l'aurai fidélisé.


réponse C : je finis par apprendre que l'hôtelier veut faire des économies de bouts de chandelles, qu'il m'empêche de gagner correctement ma vie. Pire : qu'il envoie l'offre à tous les clients qui ont séjourné chez lui. Même les clients que je lui ai envoyé. Là, c'est la guerre !
Un certain Torgeir a joué à ce petit jeu il y a 2 ans. Mon agence faisait 60% de son chiffre d'affaires. On a cessé de le vendre du jour au lendemain. Vous appelez ça du boycott ? Non, on a juste fait évoluer notre conseil. L'hôtel a fermé 6 mois après.
On est tous perdants : j'avais un hôtel en exclusivité sur le marché français, j'ai perdu cette exclu' volontairement.
Les clients adoraient cet endroit, il a fermé.
L'hôtelier a voulu gagner 3 petits clients ; il perdu celui qui faisait le gros de son CA.



Le truc qui me gratte le plus en ce moment et y'a vraiment des claques qui se perdent, c'est quand tous mes fournisseurs essaient de se substituer aux TO.


Certains réceptifs se sont regroupés sur des plates-formes (j'en ai trouvé 3, il y en a certainement d'autres) pour attirer le client en direct.

Ils promettent aux voyageurs qu'ils bénéficieront du même conseil personnalisé que dans une agence, qu'ils connaissent le terrain, et qu'au bout du compte "en évitant les intermédiaires, le client aura une bonne surprise sur le prix". Ce que la plate-forme ne dit pas, c'est qu'elle a des coûts et que le réceptif va donner une commission à la plate-forme. Et que cette commission, qui va la payer ? Le client !



Le client va donc payer la même chose (ou presque), ne sera pas assuré, ne sera pas conseillé par un agent de voyages fin psychologue qui saura décoder ce qu'un client appelle un "p'tit hôtel sympa, vous voyez le genre", et s'il y a un loupé quelque part, il aura les yeux pour pleurer.

Pour peu qu'il y ait un problème financier chez le réceptif, le client ne pourra pas bénéficier de garantie financière des agences françaises...



Certains réceptifs s'accrochent à ces "nouveaux modes de commercialisation". J'ai déjà viré mon réceptif du Venezuela qui a décidé de bouffer à tous les rateliers travailler comme ça . La fille du Chili ? Pareil ! Et j'en ai un 3ème en sursis : j'ai chargé l'un de mes collaborateurs de lui trouver un remplaçant.


Je recommence depuis le début ou tout le monde a compris que "chacun son métier, et les vaches seront bien gardées" ?




1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'article est très bien écrit... et surtout c'est tellement vrai ! Je travaille pour un petit tour opérateur spécialisé dans une destination plutôt précise et je ne peux que constater : c'est de plus en plus la bataille !
Pour les billets d'avion notamment, ça fait mal au coeur de voir que les clients trouvent sur le site de la compagnie des prix inférieurs à nos prix nets hors taxes !!! Ce secteur marche sur la tête...